En scrutant sur Internet nos faits et gestes, certaines firmes prévoient nos problèmes de santé, nos difficultés conjugales et financières. Bienvenue dans l’ère de l’analyse prédictive !
Achats, déplacements, discussions, habitudes, goûts, relations… Aujourd’hui, laquelle de nos activités humaines ne se retrouve pas gravée dans le marbre opaque d’Internet ? Depuis la démocratisation du web haut débit, chaque jour, le moindre de nos faits et gestes génère une quantité de données numériques de plus en plus vertigineuse.
Il y a encore quinze ans, un quart seulement des informations consignées dans le monde existait au format numérique. Aujourd’hui, la quantité de données envoyées, reçues, stockées chaque seconde se compte en milliards. Les spécialistes appellent ça « le Big Data ». Une mise en données du monde qui ne fait que commencer.
La science de la prédiction
Entre 2010 et 2020, le nombre de données numériques créées dans le monde devrait en effet être multiplié par quarante pour atteindre 10,4 zettaoctects, soit 10 400 milliards de gigaoctets de données déversées tous les mois sur Internet.
Cette gigantesque masse d’informations affole les compteurs et aiguise les appétits. Parvenir à capter, collecter, recroiser cette myriade de données dispersées apparaît comme l’un des grands enjeux techniques et stratégiques des décennies à venir. Il n’a pas échappé à certains que les traces que nous produisons sur le web en disent déjà long sur nos vies, nos comportement, nos habitudes.
Et si, analysées à grande échelle, nos données personnelles permettaient carrément de prédire notre futur ? L’idée peut sembler farfelue, elle fait pourtant l’objet d’études très sérieuses et de mises en application toujours plus poussées.
Vous ne savez pas encore où vous serez demain ? Si votre couple est promis à un bel avenir ? Pour qui vous voterez ? Ou encore, si vous arriverez à rembourser votre crédit ? Eux le savent. Bienvenue dans l’ère de l’analyse prédictive…
Lundi vous irez au ciné avec votre tata
Hormis sur quelques sites spécialisés, la nouvelle n’a pas fait grand bruit. Printemps 2012, le géant finlandais de la téléphonie, Nokia, remettait le prix du Data Mobile Challenge à trois chercheurs de l’université de Birmingham. Leur mérite ? Avoir mis au point un algorithme qui, intégré dans un smartphone, permet de prédire où vous serez dans 24 heures. Un gadget à la précision approximative? Pas tout à fait… En combinant les données de tracking GPS de votre téléphone avec d’autres données provenant des smartphones de vos amis et présentes dans vos contacts (historique des appels, des connexions Wi-Fi et Bluetooth, mais aussi SMS et numéros de téléphone), ce programme permet de prévoir où vous allez vous rendre durant les prochaines 24 heures, et ce avec une marge d’erreur moyenne de… vingt mètres. De quoi, par exemple, vous envoyer publicités et offres promotionnelles ultraciblées selon le lieu où vous vous trouverez, les magasins, restaurants, centres commerciaux aux abords desquels vous passerez.
Capture dӎcran de lՎtude Interdependence and Predictability
of Human Mobility and Social Interactions
Votre fille va bientôt tomber enceinte
Le ciblage commercial basé sur l’analyse prédictive, aussi appelé data mining, voilà une forme de profilage marketing en plein boom. Bank of America identifie les clients susceptibles de retirer leur épargne et conçoit des contre-offres. UPS essaie de savoir qui parmi ses clients est sur le point de lui préférer Fedex.
Aux Etats-Unis, le géant de la distribution, Target, parvient en analysant le profil et les comportements d’achat, à anticiper les grossesses de ses clientes de façon à leur envoyer coupons promotionnels pour des berceaux et autres accessoires pour bébé. Des offres commerciales que l’entreprise sait adapter à chaque stade de la grossesse. Un article du New York Times raconte ainsi comment un père de famille américain a appris, incrédule, que son adolescente de fille était enceinte, après s’être plaint auprès de Target des prospectus pour biberons et lait maternel qu’il recevait dans sa boîte aux lettres.
Vous divorcerez dans trois mois
Et si, aujourd’hui, avec l’hyperinflation des données numériques, l’analyse prédictive est en passe de devenir le nouveau veau d’or du marketing, elle a fait ses preuves de longue date au sein des services financiers, de la banque et de l’assurance où elle sert à évaluer ce que les experts appellent “le risque client”. Exemple : vous sollicitez un crédit. Très bien, mais à quel point n’êtes-vous pas un mauvais payeur, déjà au bord de la faillite ? Vous souhaitez faire assurer votre voiture. Soit, mais qui sait si vous n’êtes pas un alcoolique notoire doublé d’un fou du volant ? Pour mieux savoir à quels risques ils s’exposent, assureurs et établissements bancaires jouent la carte de l’analyse prédictive à plein régime pour découvrir vos petits secrets. Ils mettent désormais en place des systèmes de modélisation statistique et confrontent des champs de données auxquelles vous n’auriez jamais pensées. Dans son livre d’enquête sur l’analyse prédictive, Super Crunchers, Ian Ayres, chercheur à l’université de Yale, raconte ainsi comment le groupe Visa est parvenu, en scrutant les achats de ses clients, à identifier qui parmi les détenteurs de carte de crédit risquait de divorcer prochainement… Un signe annonciateur de difficultés financières et de défaut de paiement auquel Visa prête, semble-t-il, une attention toute particulière.
Et vous raterez votre avion…
Mais elle n’est pas la seule. De jeunes entreprises bancaires épient désormais les données laissées sur Pay-Pal, E-bay et Amazon ou se tournent, par exemple, vers Facebook pour évaluer la fiabilité des demandeurs de prêt à rembourser un crédit. Si, sur le réseau social, vous avez pour ami une personne qui a déjà remboursé un prêt en retard ou si, pire encore, vous interagissez avec cette personne, vous aurez peu de chances d’obtenir le crédit que vous sollicitez.
Les outils de modélisation statistique basés sur le risque client permettent de traiter des données de plus en plus massives, éclectiques et acquises en temps réel. Résultat purement mathématique : les machines parviennent à tirer des règles statistiques à partir de la mise en corrélation de nos données personnelles les plus anodines. Saviez-vous que les personnes végétariennes ont moins de risque de rater leur avion que les autres ? Que les personnes qui achètent des détecteurs de monoxyde de carbone et des graines haut de gamme pour oiseaux sont moins souvent en défaut de paiement que les autres ? Ou encore que les Américains qui écoutent de la musique sur Spotify, utilisent Tumblr et Buzzfeed ont voté majoritairement pour Barack Obama tandis que les utilisateurs d’Ebay qui ne jurent que par Bing et jouent à FarmVille lui ont préféré Mitt Romney ? Bienvenue dans l’ère de l’analyse prédictive. Cela ne fait que commencer.
Et pour en savoir plus sur l’analyse prédictive, on vous conseille :
analysepredictive.fr : un site français spécialisé sur le sujet pour mieux appréhender l’étendue de cette pratique (marketing, santé et même élevage agricole !)
Predictive analytics : le livre d’enquête d’un ancien professeur de l’université de Columbia.
The frightening science of prediction : un article assez complet du blog Science of revenue
Ils s’aiment et demain? : une étude universitaire d’analyse prédictive sur l’entente des couples à long terme.
Voir les autres articles du blog…
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